3:Contribution de Guy

Publié le par NatC

Incommunicabilité 
 

Minuit trente.

Au maximum quinze personnes dans cette rame de tramway.

Elle rentre d’une soirée chez des amis. Il pleut et flotte dans ce wagon un effluve de chien mouillé mêlé à quelque vapeur d’alcool caractéristique des soirées bien arrosées.

Pas de bruit, aucun éclat de voix. La fatigue se lit sur chaque visage. Chacun attend avec résignation d’arriver à la station où il doit descendre.  

Envie d’aller dormir mais trop fatiguée pour ressentir de l’impatience. La soirée était bien longue. Elle l’a même écourtée prétextant qu’elle devait se lever tôt demain. Ce n’était pas vrai.

D’ailleurs demain, c’est dimanche.

Mais seule dans une soirée en compagnie de quatre couples, ce n’était pas très agréable. Et puis, pourquoi l’avait-on invitée ? Par pitié ? Par amitié ? Par habitude ?

Seule.

A demi assoupie, elle regarde vaguement au dehors sans percevoir ni les lumières de la ville ni les passants.

Le tramway s’arrête. Puis repart. 

Il vient s’asseoir juste face à elle. Elle lève les yeux vers lui, machinalement. 

D’abord les yeux d’un bleu très clair. Puis leurs regards se croisent et il lui adresse un large sourire découvrant sa parure osanore. Les traits fins, le visage presque juvénile, une mèche tombante sur un front sans ride ; elle ne peut s’empêcher de le dévisager avec douceur.

Puis elle se reprend et baisse son regard jusqu’au plus profond de ses chaussures.

Et pourtant.

Pourtant elle a envie de lui parler.

Lui dire combien elle s’est sentie terriblement isolée durant cette soirée. Lui raconter sa solitude, ses envies, ses besoins, ses rêves dont il fait déjà partie, là, depuis cet instant.

S’abandonner à lui confier tous ses secrets. Connaître les siens.

Elle n’ose plus le dévisager de peur qu’il ne devine son trouble.

Alors elle l’épie dans le reflet de la vitre.

Elle le scrute, elle l’inspecte, elle l’étudie, elle le contemple, elle l’admire. 

Station Place Calabrese. Arrêt. 

Il se lève et lui dit bonsoir.

Aucun son ne sort de sa bouche. Pourtant elle voudrait. Elle voudrait lui dire attends-moi, mais la sonnerie retentit et déjà la porte se referme.

Sur sa solitude. Sur leur solitude.

Chacun de part et d’autre de cette maudite porte qui ne fractionne pas la déréliction mais la propage. 

Le tramway repart. Elle l’aperçoit sur le quai, immobile, le regard fixé vers elle.

Et pendant qu’elle le regarde, attendrie, disparaître dans la rue, elle a le temps d’apercevoir dans ses immenses yeux bleus le reflet du regret....

Guy http://vantal.over-blog.com

Publié dans vos poésies

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L
Cette histoire est très touchante, j'imagine cette jeune femme , je ne dirais pas belle mais mignonne par sa douceur et sa simplicité. Bravo Guy, j'aime beaucoup ton style.
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M
très joli ce texte...pourquoi n'ose-t-on parler.....??!!
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B
Tant de regards perdus, de solitude écrasante alors que........<br /> Beaucoup de tendresse et d'émotion dans tes lignes, comme si la scène se jouait là ,tout près !
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L
Une scène qui ressemble à certains moments de jeunesse , un face à face fait de regards à défaut de parler . C'est tendre .
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M
C'est bien de traiter par ce texte la difficulté à communiquer avec ceux qu'on ne connait pas.<br /> Moi aussi comme lasidonie la scène que j'ai envoyé se passe dans un transport en commun le bus et c'est une rencontre. C'est toutefois pas le même thème ......
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