19:Christine
Armande se tenait bien droite sur son siège. Les cheveux grisonnants et les rides qui commençaient à lui marquer le visage ne pouvaient dissimuler l’extrême beauté de ses traits .Ils avaient gardé leur finesse et ses yeux couleur myosotis étaient aussi vifs qu’il y a 40 ans.
Pour le moment, cependant, ils étaient comme voilés, voilés par le souvenir. « Souvenir, souvenir, que me veux tu ? » dit le poète.
C’était un beau début de matinée. Le soleil se levait et nimbait les montagnes entourant le lac d’Annecy d’une lumière douce. L’eau pure et claire en reflétait les rayons et miroitait légèrement. Armande apercevait des voiliers par la fenêtre de son wagon .Tout paraissait calme et serein.
Les souvenirs remontaient à l’assaut de son esprit au fur et à mesure que le train avançait…. Là, un bateau, ici, un sommet de montagne, un versant abrupt plongeant dans le lac.
Tout avait commence banalement. Un sentier de randonnée au petit matin .Elle avait 20 ans, tout juste 20 ans. Elle était pleine de jeunesse ardente, d’espoir. Elle semblait danser en marchant. La vie lui souriait et elle lui souriait…
Au détour d’un chemin elle avait découvert un homme qui se tenait face à un chevalet et qui lui tournait le dos. Sans raison, elle avait senti son cœur s’affoler. Prête à battre en retraite, elle fit sans doute un peu de bruit et l’homme se retourna…Comme dans les romans de gare, tout sembla se figer autour d’elle. .Le silence lui-même se fit cotonneux…Plus rien ne comptait que les yeux bleus de cet homme, son visage…et lui, ils devaient en rire plus tard, demeurait le pinceau en l’air, incapable semblait il de faire le moindre mouvement….Et puis tout sembla reprendre petit à petit sa place, les oiseaux recommencèrent
de chanter, l’eau de clapoter, le soleil de luire…
C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de celui qui serait l’amour de sa vie.
Armande cligna des yeux .Elle en chassa les souvenirs .plus tard ! Pour le moment elle devait se concentrer sur son objectif : Elle devait convaincre que cet héritage, ce tableau, était important pour elle ! Pour le souvenir de son amour perdu .Qu’importait pour elle qu’il fut d’un peintre célèbre ! Il avait été fait pour elle, c’était elle qui en était l’inspiratrice, le modèle. Il était bien à elle et à personne d’autre ! « Elle se battrait pour pouvoir le conserver » se disait elle au fur et à mesure que le train l’entraînait vers Annecy.
Aril/Christine