20:Marc
Ma chère Armande,
Je t’écris très vite ce petit mot à l’aide de mon mémorisateur intégré, je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’il arrive à destination. Nous sommes nombreux prisonniers, ou plutôt « volontaires » comme ils disent ici et tous un peu hébétés, on ne comprend pas tout. Tout à l’heure, avant l’embarquement, il y aura plusieurs mètres à faire « à l’air libre », je jetterai cette lettre-CD en espérant qu’un « local » la trouvera et te la fera parvenir. Comme ce qu’on avait lu dans quelques journaux non autorisés, on nous a effectivement injecté de nombreux produits dans le corps. Ma peau a semble-t-il déjà changé de couleur, elle s’est un peu « kératinisé » ou plutôt « chitinisé » pour reprendre un terme utilisé entre nous et plus proche de la réalité. C’est parait-il pour mieux résister aux rayonnements. Tu connais mon côté pacifiste et mon appartenance au Parti 8, je ne comprends pas ce que je fais ici, je devais rester en ingénierie. Les injections ont été violentes comme de la flamme dans nos veines et dans nos muscles, un moment – sous la seringue - je suis retombé en enfance, des souvenirs idiots sont remontés très nets, très brutaux : tes peurs dans le train-fantôme perpétuel, enfants ; puis nos balades romantiques dans les roseaux à l’extrémité du lac d’Annecy ; puis ton corps un jour dévoilé à mes mains timides et inexpérimentées ; puis d’autres souvenirs qui se mélangent dans ma tête, que je n’arrive plus à situer : le soleil qui disparait partiellement, la nature qui se meurt, beaucoup de morts et de cris. Ce vieux pays, la France N°1, me semble si loin maintenant que je pars combattre pour les Forces Réunifiées. On les aura ces fichus Klingons ! La Terre a besoin de combattants, tout le monde le dit. J’espère qu’au centre de procréation assistée accélérée, tout se passe bien pour toi, malgré ces grossesses en boucle, 4 enfants par année terrienne, ça ne doit pas être facile pour vous toutes. Ni ces tuyaux, ces gaz, ces philtres accélérateurs, ces potions pour que les fœtus grossissent aussi vite. Tu verras, je reviendrai et ce cauchemar finira. Nous repartirons tous deux vers la France N°1, même si elle ne s’appellera sans doute plus ainsi, par une douce matinée d’un vrai soleil – celui qui nous obligeait à plisser les paupières -. Je prendrai ta main, nous autres « êtres humains » faisons ainsi (les Klingons parait-il se tiennent les oreilles, les crétins !) et nous longerons ces étendues d’eau que tu aimes tant, un vrai tableau idyllique de pleine romance. La nature aura peut-être repris ses droits, tous ces défoliants klingonniens vont bien disparaitre, non ? Ca y est le robot-chef gueule dans sa langue synthétique : on part dans 5 minutes, les astronefs sont prêts. Dernière injection avant le grand saut : il parait qu’on va dormir plusieurs années terrestres et se réveiller avec un corps d’insecte, solide, glissant, parfait parait-il pour le combat et résistant aux attaques acides des Klingons. Je termine vite, je pense à toi, tout à l’heure m’est revenue la fin de ce poème que tu aimais tant :
« J’étais l’orant enfouissant
Masculin
/ féminin
moussant à la langue
ton bas rein tangue »
Je pense à toi, espère mon retour et je reviendrai, j’ose un baiser
Caporal ingénieur Androïde K12-200-6PO – v 12 -
Adresse : Armande type cyclonP-12 , N°2360-11
Centre P.A.A. N°26-A
Centre globalisé 28
France N°3
Planète Terre
marc L.
http://www.frenchpeterpan.com