UNE CHAMBRE À MIAGE de PIERRE-ELIE
Une chambre du souvenir
Dans un chalet à Miages :
....Au fond de la pièce, presque invisible dans la pénombre s'élève une échelle de meunier qui semble pénétrer le plafond de sapin. Tout en haut, on découvre une porte vite construite en planches mal ajustées au travers desquels filtrent de multiples rais de lumière. On la pousse, elle ne grince pas :
Voilà la chambre. Basse toute habillée de bois légèrement orangé et encore odorant. Le sol est de vieilles et larges planches non rabotées à la teinte grisâtre.
Ce qui étonne ici c'est le lit immense qui donne à penser que dormir ou aimer est essentiel en ce lieu, il ne laisse autour de lui qu'une façon de couloir pour se déplacer.
La fenêtre est minuscule mais étonnamment lumineuse à tel point que les yeux souffrent à la fixer.
Partout sur des étagères soutenues par des cordes d'escalade rappelle que c'est la châlet d'un guide (ces cordes souples et colorées que j'aime tant caresser et tordre dans mes doigts pour en apprécier la résistance. Chaque fois je m'imagine pendu à l'une d'elle, dépendant totalement de ces fils multicolores qui semblent chacun si délicat).
Elles supportent difficilement et en se pliant des livres qui semblent d'autant plus lourds qu'ils sont remplis d'images de montagnes, de toutes les montagnes du monde.
A droite, un grand cadre doré où une multitude de petites photos se recouvrent en partie. Elles sont surtout en noir et blanc ,parfois toutes grisées, souvent jaunâtres, de-ci, de-là quelques clichés en mauvaises couleurs. Mais on ne s'arrête pas à ces considérations, et l'on ne voit sur chacune que cet homme grand, solide, comme armé de ses cordes, de son sac et de son piolet, regardant de ses yeux bleus chaque fois une montagne différente, toutes celles des livres sur les étagères. C'est le même magnifique, doux et maintenant vieux guide qui m'a donné les clés du chalet.
A gauche, de l'autre côté de la porte, un autre cadre de bois sombre avec une seule grande photo. Un homme jeune au regard si clair qu'il en paraît presque blanc, un regard volontaire, presque trop, comme un peu fou.
C'est le fils du guide, guide lui-même mort en montagne. Cette chambre ressemble un peu à une chapelle dédiée à son souvenir et seul mon sac à dos posé sur la table semble dire que l'on peut encore y vivre et y dormir.
Piere-Elie Benoit