FLEUVE de POLLY
Il n'y a pas de vie sans de petits bonheurs
Ma traversée.
Pendant des millénaires, j'ai traversé le temps dans mon lit de bruyère, tranquille et libre. Mais depuis peu d'années mes crues qui abreuvaient de limon la verte vallée ont cessé. Désormais canalisé, je suis maté, maîtrisé, obéissant, sans colère et je ne nourris plus les terres.
Je charrie dans mes eaux d'âpres déchets que je ne peux digérer et si je me réchauffe aux hautes cheminées qui puisent dans mon lit la fraîcheur nécessaire pour refroidir leurs noyaux nucléaires, cet échange me barbouille d'algues nocives et de sable remuant.
Je me sentirais mort, peut-être, s'il n'existait un joli coin oublié des canaux, du béton, des routes, un petit coin secret où mes eaux barbotent tranquillement loin des rivages inhospitaliers, un petit coin d'amoureux, de frétillements invisibles, un havre, un repos.
Ici, je frémis de plaisir dès que les alevins se bousculent sur les flots, je fredonne en douces vaguelettes quelques chansons de fleuves, je frôle les branches des saules égarés qui abritent tant de baisers cachés, je ris lorsque les carpes, brochets, anguilles dansent leurs amours aquatiques.
Et j'attends chaque été.
J'attends chaque été les enfants du village qui brassent dans ce réservoir préservé par je ne sais quel miracle. Ils sont là avec leurs cris, leurs rires, leurs éclaboussements, leurs chants, leurs taquineries, leurs bousculades.
Ils sont là et grâce à leur précieuse présence mon grand corps fluvial qui traverse l'ailleurs souillé n'existe plus.
Quand ils sont là je suis ivre de vie.
Polly
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