LE SECOND MOT de CATHEAU

Publié le par juliette b.





Comment naquit l’orchidée



A qui me demande d’où me vient ma passion pour les orchidées, j’aime à dire ce conte que me raconta un vieux moine bouddhiste au cours de mon premier voyage en Indochine.
C’était dans les temps immémoriaux, quand les dieux avaient commencé à descendre du Ciel et à devenir des hommes. La boîte de Pandore avait été ouverte et la cupidité, le mensonge, le meurtre et la violence brute s’étaient répandues dans les cœurs et les corps de ces demi-dieux. La pange commençait à se disloquer et les combats étaient acharnés entre les Princes qui se disputaient les continents à la dérive.
Dans un pays lointain, là où le Soleil se lève, vivaient deux Princes, du nom de Anh Dung et Anh Hào. Frères et jumeaux, aux yeux amandins, aux cheveux noirs comme l’encre des calligraphes, au teint de sable et de limon, ils aimaient en silence d’un amour ardent et depuis toujours la princesse d’un royaume voisin. Longue et mince comme la liane du banian, Kiêu Diêm, c’était son nom, contemplait amoureusement de ses yeux verts aux couleurs de rizière les deux frères qui, pour elle, ne formaient qu’un seul amant.
Son père, le Roi Chân Ly, ordonna un combat singulier pour départager les frères rivaux. Si leur amour fraternel était profond, il n’avait cependant pas de commune mesure avec l’abîme de folie et de passion qu’ils éprouvaient pour Kiêu Diêm. En Princes de sang qu’ils étaient, ils acceptèrent le duel qui eut lieu auprès du Lac de l’Epée restituée.
Sous les yeux d’une noblesse avide de violence, sous le regard d’oiseau perdu de Kiêu Diêm qui jamais ne distingua les deux frères qu’elle chérissait d’un amour unique, la lutte fut sans merci.
Anh Dung et Anh Hào pratiquaient avec maestria l’art du Vô. Ils cognèrent avec violence leurs bâtons longs, entrechoquèrent rageusement la lame brillante de leurs sabres, esquivèrent avec agilité la pointe effilée de leurs épées, s’arrondirent comme des serpents sous leurs fléaux et affrontèrent leurs lances pointues comme des dagues. L’issue du combat ne se dessinait pas quand, soudain, d’un geste imprévisible, Anh Hào sortit vivement d’une de ses bottes cuissardes ses Song Dao ou couteaux-papillons. D’un ample mouvement, il les lança sur les testicules de son frère jumeau qui furent tranchés net. Anh Dung s’évanouit dans la fontaine de son sang viril.
Epouvanté par l’horreur de son geste, sans un regard pour la femme qu’il aimait et à qui il renonçait sans retour, le vainqueur enfourcha son cheval Ngua Noi et disparut dans les forêts d’acajou et de teck. Jamais on ne le revit.
Quand Anh Dung le vaincu revint de son évanouissement, il ne reconnut pas le lieu où il reposait. Il se trouvait allongé au milieu d’un champ de fleurs multicolores qu’il n’avait jamais vues. Longilignes et racées, groupées en épis ou en grappes, exhalant un parfum subtil, elles dressaient avec élégance leurs pétales aux infinies couleurs, posés comme des oiseaux à l’extrémité de leurs longues tiges. Au-dessus de celui qui avait perdu son alter ego, se penchait le visage apaisé de Kiêu Diêm qui lui souriait comme sourit le Bouddha.
-    Suis-je dans le Paradis de Jade ? demanda-t-il en caressant la main de son amie.
-    Non, répondit la jeune fille, en lui offrant le Plateau des Cinq Fruits ; tu es dans le Jardin des Orchidées, les « fleurs de l’homme supérieur ». De tes parties viriles, tombées en terre fertile, a surgi ce champ de fleurs innombrables qui vont ensemencer l’univers. Et chaque jour qui passera, j’en ferai des bouquets pour toi.


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A
Terrible et belle légende ! Je crois que je regarderais maintenant d'un autre œil les orchidées !
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