SOUVENIRS DE JARDIN de PIERRE-ÉLIE
Mystère de l'Ile-Jardin
Ce jardin était une île, il en avait le mystère, celui de l’ailleurs et de l’inattendu, du danger et de l’aventure possible, il en avait le parfum et même le goût, celui de l’eau salée, celui du sable qu’un vent sans repos glissait partout, dans nos cheveux, dans nos oreilles, dans nos yeux et nos bouches, il en avait enfin la musique, celle tonitruante et infinie du ressac nerveux et court de la Méditerranée, celle des bourrasques soudaines, sombres et menaçantes qu’amenait une tramontagne dont chacun parlait avec méfiance et sous entendus et celle du silence des matins frais et brumeux où, sur une mer d’huile, glissaient comme des patineuses des mouettes criardes et désordonnées cherchant un invisible repas argenté.
La mer semblait être partout avec sa manière de nous cerner sur cette pointe rocheuse comme une lave froide à la couleur changeante s’écoulant d’un ciel immense, parfois lointain, comme absent et parfois si proche, si lourd et si noir qu’il nous effrayait et faisait fuir de la plage notre horde de gosses perpétuellement bronzés et salés vers le jardin et la maison, la Villa de Rochelongue, comme des pirates apercevant au loin les vaisseaux du roi et courant se cacher dans leurs cavernes ruisselantes de trésors et de passions passées.
De l’autre côté cependant il y avait un chemin, le lien avec la petite ville, invisible depuis la plage, un chemin comme un conduit étroit serpentant, on ne savait trop pourquoi vu que le terrain était parfaitement plat, au milieu d’une lande incertaine et sans repères chargée de roseaux, de vignes rendues à l’état sauvage et d’anciennes cabanes de bergers en basalte abandonnées à des chevaux camarguais blancs et sales qui traînaient efflanqués avec le regard désespéré et un peu fou de ceux qui ne savent plus ni où aller ni qui attendre.
Et au milieu de ces déserts d’eau et de sable, au cœur de son jardin clos de murs battus par les vagues, la villa, le phare blanc de mes jeunes années, le château maintenant inaccessible de mes rêves passés où vivait ma cousine, ma reine si belle aux yeux et aux cheveux noirs délavés par l’éblouissement de l’été, ma reine aux milles servantes qui m’agaçaient de leurs charmes naissants et qui le soir, dans le rougeoiement du soleil couchant, quittaient leurs maillots de tricot pour jouer aux dauphins en faisant apparaître leurs fesses rosées, menues et déjà délicieuses, au hasard des vagues, des rires et des éclaboussures d’une mer inondée de la lumière finissante des vacances interminables de l’enfance.
Pierre