8:Lasidonie
Dans ce petit café qui lui était familier, elle avait pris place, toujours la même, prés de la fenêtre, à l’intérieur. Elle avait si froid ! Oh, ce n’était pas des rigueurs de cet hiver, non, ce froid s’était insinué en elle peu à peu, sans qu’elle puisse lutter. Il glaçait son cœur, engourdissait sa volonté. Aucun manteau, aucun soleil ne pourrait désormais réchauffer ce corps qui vivait, malgré elle, contre elle. Ses pas la ramenaient ici, sur ce siège, ses jambes agissaient indépendamment de son esprit. Son esprit ! Il était perdu dans un passé qui ne voulait pas mourir lui non plus. Là, hors de chez elle, dans les bruits, les mouvements de l’existence des autres, il lui semblait qu’elle pouvait lui échapper. Car les flashs se succédaient, l’étourdissaient, la martyrisaient du bonheur inattendu qu’un destin impitoyable lui avait procuré pour le lui reprendre très vite. Pourtant elle ne quémandait rien, son existence était tracée, route droite dans la succession de paysages traversés, tantôt colorés, riants, tantôt gris, monotones. C’était ça, la vie. Non, elle se trompait, ce jour là elle comprit qu’elle n’avait pas su reconnaître le vrai chemin, celui des émois partagés, des yeux qui se parlent, des âmes qui se reconnaissent sans même le secours des mots. Confusément elle l’avait toujours pressenti, mais elle se disait que cela n’arrivait que dans les romans et elle faisait sienne ces vers de Vigny « fais énergiquement ta longue et lourde tâche, là où le sort a voulu t’appeler »…Sa tâche n’avait pas été si lourde il y a quelques années encore, désormais il suffisait de fermer les yeux les jours d’orage, et attendre que le ciel se dégage. Mais cette résignation, sa passivité avaient cédé en quelques heures. Et tout ce que son cœur avait enfoui, cadenassé dans des tiroirs secrets, soudain la submergeait en une vague qu’elle ne pouvait contrôler comme cette onde qui arrive brusquement dans une mer étale provoquée par le déplacement lointain d’un navire. Le sable garde humide les traces de ce remous, elle était ce sable.
Seule, le regard perdu dans cette salle qu’elle ne voyait pas plus que la chaise vide qui lui faisait face, sa souffrance curieusement s’apaisait, comme si l’espace alentour en absorbait les contours les plus blessants pour ne lui laisser que des sensations adoucies. Elle pouvait alors laisser flotter dans son esprit, comme en apesanteur, le souvenir de ce qui n’avait été que rêve inaccessible…
Lasidonie