LA TENDRESSE DE XAVIER

Publié le par juliette b.



Qu'ajouter à ce beau portrait


Une chambre de bonne plus vaste que le ciel
 
 
 
Sur la table un chapeau, un galure tabac  à  larges bords au ruban beige semblait attendre la main qui le visserait sur le crâne de l´homme à la fine moustache et au sourire moqueur dont la photo noir et blanc occupait un coin du miroir tacheté. Une petite fille se tenait debout près du dandy. En raison du soleil venant de dos elle clignait des yeux. "Tu vois c´est moi" murmura ma mère. C´était une  vue du zoo de Vincennes, un gnou nonchalant posait  en arrière fond.
 
Sur la cuisinière un des ancêtres de la cocotte minute. Un des tous premiers modèles primés au concours Lépine de 1930. 61 ans dans cette chambre de bonne à siffler son air de marmiton : « à table la soupe est prête ». Sous les toits de Paris une chambre de bonne, rue de l´Etoile, les meubles en merisiers faits sur mesure au faubourg Saint Antoine. C´est là qu´à vécu Constans, l´oncle de ma mère.
 
 
L´oncle Constans venait de mourir dans un hôpital parisien, seul. Pas abandonné, seul. Dans le tiroir de la table de nuit de la chambre 220 dont le  lit venait d´être refait  l´infirmière avait trouvé un carnet sur lequel il notait méticuleusement l´avancée de sa maladie. Un cancer du colon. Un schéma minutieux décrivait l´ablation d´une portion d´intestin.
 Témoin de lui-même, une fois son petit carnet mis à jour, Constans avait encore le loisir de faire la conversation aux autres patients du service leur remontant le moral de quelques histoires gentiment coquines.
  "Tant qu´il a pu marcher il n´a jamais manqué d´aller réconforter les malades parfois moins gravement atteints que lui"  « Spirituel - Votre oncle était spirituel, c´est le mot qui me vient quand je pense à lui poursuivit l´infirmière »
De qui dirions nous en 2006 qu´il est spirituel ?  Etre spirituel n´est plus la panacée pour adoucir les maux de l´existence. La technique et la science médicale y sont sans doute pour quelque chose.
 
Ma mère redécouvrait  la chambre de bonne ou elle était venue dans sa lointaine enfance, décontenancée elle  ne savait ou se poser, soudain très lasse. Nous avions voyagé toute la nuit depuis Neufchâteau dans les Vosges. Cette gare de l´Est hostile, orientée vers le malheur de l´Est ; la brume intérieure sous la marquise ; rien pour chasser les noires idées sauf l´or d´un demi de bière ; l´étonnant mois de mai 68 venait à peine d´entrer dans l´histoire ; les trains de nouveau marquaient la cadence le long des talus et des murs de banlieue vibrionnant de slogans.
 
L´oncle Constans passionné de médecine et de photographie ; s´était un photographe inlassable.  Sous son lit un laboratoire photo dans un coffre ; plusieurs appareils photo dont un magnifique Leica II de 1930, une merveille.
 « Oh ton père ne le prenait pas au sérieux ; un homme indifférent à l´histoire, aux belles lettres, tu penses bien » ;
 Des dizaines de livres scientifiques emplissaient tout l´espace disponible ; sur la table de nuit un essai sur les progrès thérapeutiques dans la lutte contre les maladies infantiles ; « tu sais, dans les Vosges,  il avait vu des enfants mourir de la scarlatine de la rougeole ; et c´était en 1920 »
 
Vers la fin de sa vie il c´était soudain intéressé aux sciences de l´esprit, à la psychologie et même au bouddhisme ; un essai sur Freud intitulé  « Le Sphinx : questions de psychanalyse par G Frank » posé sur un petit bureau à côté d´un coupe papier en ivoire.
Alors que ma mère s´absorbait dans  l´inventaire des « papiers de famille », j´avais ouvert un bureau empli d´album photos ;  de vastes et solides albums à la couverture de feutrine matelassée ; devant chaque planche une feuille de papier semi transparent protégeait les tirages ;
 
Une des premières photos noir et blanc représentait un  damoiseau au bras d´une élégante jeune femme vêtue à la mode des années trente dans un jardin public ; la statue d´un Savonarole de pacotille, le visage emmailloté dans une cuculle sombre, semblait désapprouvé cette impudente prise de vue ;tandis que le couchant emplissait le ciel  d´une lumière triomphante , les ombres s´allongeaient dans les allées ; c´était une fin de journée d´été ; la flamme d´un réverbère au gaz vacillait  déjà ; le jeune homme vêtu d´un costume de flanelle clair tenait la jeune fille brune par les épaules ;  le visage de cette beauté rayonnait d´un éclat sauvage ; à l´invite du photographe elle relevait soudain la tête ; la surprise agrandissait son magnifique regard ; Le jeune homme semblait plus jeune qu´elle ; la naïveté de ses traits contrastait avec l´hostile présence du moine excommunicateur ; éperdu, le visage tourné vers elle, il donnait l´impression d´avoir capturé un jeune animal sauvage prêt à bondir de nouveau vers les frondaisons dès que l´étreinte se relâcherait ;
 
Je savais que ces deux là ne resteraient pas longtemps sous le même toit ; le photographe clairvoyant avait fixé cet instant précis ou une aventure se défait ;
 
Constans ne s´était jamais marié ; inconvenance sociale expliquait-t-il très simplement ; un grand amour partagé avec une cousine germaine auquel ils durent tout deux renoncer au nom de ....la bêtise ambiante. Constans venait passer ses vacances chaque année à Colombey-lès-Belle  ; Amélie et son mari Hubert le reçurent chaque été durant des années et des années ; Amélie la cousine germaine ; Constans l´homme d´esprit ; les enfants l´adoraient.
 
Je montrai la photo à ma mère. Elle fronça les sourcils. Oui un jeune couple, des amis de Constans de passage à Paris ; voyage de noce ;  elle, elle  disparu un soir quelques mois après le mariage ; on sonda les étangs ; une bien triste histoire ; mais qui peut retenir l´eau qui bondit ? Lui une âme terne de geôlier, dévorée par la peur de perdre et elle une âme d´Elfe.  Un mariage de déraison.
 
Constans et Amélie,   eux, restèrent  proches l´un de l´autre toute leur vie ;
 
Hubert le mari d´Amélie parti le premier, ils ne modifièrent pas leurs habitudes ; chaque été Constans et Amélie partageaient une amitié amoureuse teintée de douceur et d´humour.
 
Constant seul mais pas abandonné pas prisonnier pas geôlier ; léger, léger ;
Le proverbe Créole dit tristement
Avant que tu aies été lapine, j'étais déjà clapier.
 

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C
Qui es tu Xavier pour écrire si bien? As tu un blog?
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