FRISSON DEL'ESPOIR de VALDY
C’était les pas du Gros, El Gordissimo, comme l’appelaient ses pairs. Il pouvait imaginer la poussière ocre se détachant du sol de terre battue et voletant pour accrocher le peu de lumière qui passait par le vasistas du corridor. Retombait-elle quelques centimètres plus loin ? Ses geôliers n’étaient pas de mauvais bougres, ils lui apportaient parfois des nouvelles de l’extérieur par le biais d’une lettre, ouverte, bien sûr, où les ciseaux de la censure avaient œuvré. Ces lettres, trois en presque deux ans, il les gardait sous le matelas éventré dont les ressorts avaient été ôtés pour ne laisser qu’une couche avachie.
Il ne les lisait que deux fois par semaine, comme on va à l’Eglise prier. Il craignait que la fine écriture ne s’évapore au contact de l’air âpre de la prison -ou de sa respiration-. Chaque dimanche et chaque mercredi, de ses belles mains de musicien, il déliait les lettres. Alors, l’encre bleue semblait palpiter de liberté. Puis, nourri d’espoir de n’être pas oublié, il les rangeait, doucement, une à une, dans une vieille enveloppe qu’El Gordissimo lui avait donnée. Tiens, les pas continuaient plus loin, peut-être pour aller jusqu’à la cellule du fond, celle d’où les râles nocturnes d’un malade s’échappaient.
Paolo avait la musique. Bien sûr, il ne pouvait la partager avec ses compagnons d’infortune – y compris ses gardiens- sans instrument et avec l’interdiction de chanter. Nul ne peut imaginer une prison où les prisonniers chanteraient en réponse à l’'un des mécanismes primordiaux du piano : le mécanisme d'échappement … Cette appellation technique le faisait encore sourire …
Alors, chaque matin, après le premier quart, il dessinait sur le sol les quatre -vingt-huit touches d’un piano et ses mains, articulées par et pour la musique, jouaient à sa mémoire « La Cantate de l’Espoir » …
Valdy