IMMOBILITÉ et MOUVEMENT de CLAUDIE
LE STYLO
Je glisse, je file entre vos doigts mais ne peux vous échapper. J’ai encore fait les gros titres des magazines. Pour m’arrêter, on a reconstitué mon histoire, l’histoire de mes origines. On m’a enfermé dans le noir, bâillonné, immobilisé au cours des siècles. Ceux qui se servaient de moi ont fini embastillés. J’ai évolué avec le temps, de primitif, je suis devenu plumitif, pointu, acéré. On me croise parfois dans les boutiques de luxe, serré parmi d’autres dans une vitrine, l’air d’un loufiat en smoking et chemise à jabot ou bien, sobrement revêtu de plastique. Attention, n’allez pas m’insulter ! Même désargenté, je revendique ma noblesse. En fait, je suis un objet versatile, à l’humeur dérangeante car on m’a vu sur les champs de bataille et dans les wagons des vaincus. Je suis connu comme le loup blanc et mes poursuivants se font un sang d’encre. Essayez donc de m’arrêter ! J’ai trop de style, cavale trop rapidement pour déclarer des mots d’amour à une belle, cracher des mots de révolte devant l’injustice. Empourpré de rouge, je rature dans la marge. Je n’aime pas les marges car j’ai besoin de grands espaces pour s’exprimer. Arrêtez-vous un instant et regardez-moi dessiner avec amour les contours d’une image.
Quand, fatigué, je m’abandonne dans votre main, vous croyez enfin me tenir, alors, d’une dernière facétie, je m’échappe en laissant un pâté disgracieux sur votre plus belle page.
CLAUDIE