L'ARMOIRE AUX SECRETS de UT
L'Odeur des temps qu'on n'oublie pas
Dans sa mezzanine, ce rectagle d'ombre qui lui servait de chambre, l'Anonyme avait un vieux coffre rond. Le petit chien noir et blanc l'appelait l'armoire à secrets.... et ça faisait bien longtemps qu'elle ne l'ouvrait plus. Peut-être même qu'elle l'avait oublié. Une seule fois Chien l'avait vue l'entre bailler: c'était tout au début de leur vie ensemble, quand il ne lui était pas encore une présence pour de vrai; qu'elle le laissait vivre sur ses traces sans plus s'occuper de lui; un peu comme une chose de poils à qui elle refilait, avec à chaque fois sur les lèvres les mots qui craquelaient la douleur du dos si bas courbé, ce qu'elle se privait de son repas le soir. Chien lui, n'oubliait jamais rien. Ni ces festins trop maigres; ni l'amoncellement de jupes et d'os qui lui donnaient pour rien, juste parce qu'il était là; ni ce que contenait la malle, surtout le soir, quand il s'allongeait entre elle et le matelas de l'Anonyme posé par terre. Et à chaque fois cette malle avait l'odeur des temps un peu moisis, comme la toile rouge vieux fixée dessus avec des baguettes de bois, perlées du passage des petits animaux qui habitaient là. Chien savait le contenu de la malle: tous ces papiers, tous ces cahiers, tous ces carnets; tous mangés d'une petite écriture fine et penchée, qui n'en finissait pas de courir. L'écriture remplissait la malle. La malle enfermait l'écriture. L'Anonyme avait bouclé au pied de son sommeil, sous les ferrures vieil or, la mémoire des mots tus à jamais. N'empêche. N'empêche que ce soir là justement, alors que l'Anonyme faisait à peine une bosse sous les couvertures dans tout ce froid qui à nouveau arrrivait si vite la nuit; ce soir le petit chien noir et blanc avait bien entendu, malgré les dents qui manquaient; malgré l'usure de la voix qui ne disait plus; malgré tout ce noir qui étouffait un peu: "Pour que tu n'oublies pas je découperai l'encre. Et j'accrocherai tout cet amour comme des bandelettes dans le vent de tes cheveux." Et puis plus rien. Juste le silence qui soulevait à peine les couvertures. Chien soupira. Sa grosse tête noire et blanche se posa lourd sur ses pattes de devant. Et ses yeux grand ouverts restèrent dans la nuit à veiller le fragile de son Anonyme. Ut le 13/10/2009