LE BATEAU ....de JULIETTE
J’ai tout de même fait toilette avant de partir, mon pont bien récuré, mes soutes juste assez pleines, j’ai briqué mes cuivres et j’ai orienté le gouvernail plein Nord.
Moi qui n’ai jamais fait que du cabotge, ça a toujours été mon rêve d’atteindre le pôle.
Personne ne m’a vu partir, je n’ai dit adieu à aucun de mes copains de port, j’ai besoin de solitude et de tempêtes, de vents sifflants et surtout de ne rien voir et savoir de ce qui m’entoure et de ce qui m’attend.
Je connais si bien l’océan que j’éviterai les écueils sans peine.
La mer est houleuse, je prends des vagues violentes de plein fouet, je me cabre. Cela me fait du bien me tient éveillé et me stimule. C’est ce que je suis venu chercher, un dernier combat, dans une solitude mugissante, furieuse et dramatique, pour me prouver que je suis…..
La brume s’épaissit encore, assombrie par la nuit sans étoile et sans lune. Une brume de désespoir, une brume de vieux bateau qui en a trop vu, qui a trop souffert, dont la carcasse craque et gémit.
Non, non je ne suis pas ivre, mais je compte bien quand arriveront les glaces ouvrir mon tonneau de rhum et chanter de vieux chants de marins en tanguant.
J'ai senti défiler les terres étrangères avant d'atteindre la grande solitude, j'ai croisé de puissants paquebots qui ont mugi en m'évitant, j'ai ri de leur colère....
Voici les premières glaces, elles heurtent ma coque avec fureur, je fonce toujours, droit devant, allez matelot, va sans peur, tu es presque arrivé.
Voilà, je suis bloqué, mes voiles sont gelées, des stalactites lourds et blancs alourdissent mes mats ;.. je sens craquer ma coque, la banquise m’enserre et me broyera bientôt.
J’enlève la bonde de mon tonneau de rhum, je m’inonde d'alcool odorant, je glisse, je penche, ma quille se »enfonce dans l’océan, ma proue se lève, je l’ai toujours su :
Je mourrai debout.
O.