LA RENCONTRE D'AZALAÏS

Publié le par juliette b.



Étrange; vraiment étrange rencontre
S'il te plait Aza, traduit-nous l'étrange chanson"


Il était un peu nerveux. Il ne savait pas du tout comment il serait accueilli. Se produire en dehors du cirque, c’était pour lui une expérience nouvelle. Les enfants et leurs rires allaient lui manquer, mais aussi,  la chaleur de la piste, les particules de poussière qui dansaient dans la lumière, l’odeur des animaux, l’orchestre qui accentuait le moindre de ses gestes ! Il était trop tard pour reculer ! Il y avait longtemps qu’il avait envie de démarrer cette tournée parallèle dans plusieurs établissements : hôpitaux, maisons de retraite, prisons …
    Devant lui, la gardienne ouvrait froidement une série de portes aux serrures complexes. D’ordinaire, quand il se trouvait dans un endroit nouveau, il fonctionnait comme une éponge. Il enregistrait avec un grand sens du détail tout ce qui l’entourait et s’en servait ensuite pour étoffer ses numéros. Mais dans ce couloir sans fin, baigné dans une lueur glauque venue de nulle part, chacune des portes qui se refermaient lui étreignait le cœur.    
Il arriva d’un coup dans la lumière, projeté dans ce petit espace, en essayant de cacher de son mieux l’angoisse qui lui serrait le ventre. Il évalua d’un coup d’œil rapide cette centaine de femmes vêtues de joggings et de tee-shirts informes. Il flottait dans la salle un parfum de tabac et de parfums bon marché. Certaines avaient fait un effort et s’étaient maquillées. Aussitôt, les répliques fusèrent, drôles, cyniques, décalées, obscènes parfois. Elles se protégeaient comme elles pouvaient du trop plein d émotions qui risquait de les envahir. Elles étaient malgré tout bon public et l’échange était stimulant, même si l’alchimie n’était pas la même que sous le chapiteau.
    Dés le départ, il s’était cherché une ou deux accroches dans le public, un regard un peu plus attentif, une allure différente, une manière de rire … Très vite, il l’avait remarquée, légèrement en dehors du groupe, en bout de rang, les yeux tournés vers la fenêtre. Ce qui le frappa d’emblée, c’était sa façon d’être en dehors de tout, murée dans une sorte d’univers inaccessible aux autres. De ce corps longiligne et terriblement droit, de ce visage inerte, émanait une sorte de frontière invisible qui tenait le reste de la salle à l’écart. Elle faisait presque peur, pourtant elle l’attirait comme un grand puits sans fond.
Il se mit à vider le contenu ses poches : l’énorme clé avec la chaussure qui couine, le bandonéon asthmatique, l’immense serviette qu’il noua autour de son cou, la plante factice qui se mit à pousser lorsqu’il l’arrosa, le bout de papier qui lui servait de lettre et dont il changeait la teneur en fonction de l’inspiration du moment. Elle pouvait être une lettre de sa mère, une lettre de rupture ou de licenciement, mais là, sans trop savoir pourquoi, il en fit une partition musicale qu’il se mit en devoir de déchiffrer de façon maladroite. Il se grattait la gorge, faisait des vocalises, tentait de placer sa voix comme une cantatrice loufoque. Note après note, l’image de Chaplin dans les Temps modernes s’imposa à lui et il improvisa sur le thème de « Je cherche après Titine, Titine oh ! ma Titine ! »
Dans la salle, les femmes l’apostrophaient bruyamment, cherchant la surenchère dans les réparties grivoises ! Les matones hésitaient entre le rire et l’intervention. Dès le début de l’air, il perçut un changement dans son maintien. Elle ne regardait plus vers la fenêtre, sa tête avait légèrement basculé sur le côté, elle avait joint les mains sous le menton, un peu de rose avait surgi tout en haut de ses joues comme si quelque part, un petit feu venait de s’allumer. Il eut la sensation qu’un fil très mince s’était tendu entre elle et lui. Il sentit la fissure, le verrou qui venait de sauter, les petits bouts d’histoire qui tentaient de faire surface…
A la fin du numéro, elle ne se leva pas, n’applaudit pas avec les autres. Elle continuait de le fixer, immobile, les yeux soudain remplis de larmes. Il quitta la prison comme un somnambule dans un sac de coton. Deux mois plus tard, on lui remit une lettre fatiguée, couvertes de tampons et qui avait dû le poursuivre sans succès dans un grand nombre de villes. Sur l’enveloppe il lut : Monsieur Patoche, Clown au cirque Médrano, France. Alors, il sortit de sa poche son petit bandonéon et se mit à chanter :
« Se bella piu satore, je notre so catore,
Je notre qui cavore, je la qu’, la qui, la quai!
Le spinash or le busho, cigaretto toto bello,
Ce rakish spagoletto, si la tu, la tu, la tua!
Senora pelefima, voulez-vous le taximeter,
La zionta sur le tita, tu le tu le tu le wa! »
Azalaïs
   

Publié dans Azalaïs

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A
merci à tous
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A
Voilà une histoire pleine de la magie du cirque, du rêve, de l'incompréhensible qui n'a pas besoin d'être expliqué, de cette Beauté des images et des gestes qui rencontre l'univers onirique des enfants et des artistes.Bravo!
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A
Improbable rencontre qui a lieu malgré tout et finie en chanson comme un rayon de soleil.....
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A
Ramaticou, barzitobac! ououououo!! ça m'a tric trac lou cor  ço qui valà !!Acor acor vec tou !!merci beaucoup
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A
Bravo, j'applaudis....clap clap clap clap clap clap, et je me lève, clap clap clap clap clap clap..... amitié Amanieu
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