LE CERF-VOLANT de CATHEAU
Histoire de Li-Ming, la princesse au cerf-volant.
C’était il y a très longtemps, dans des temps très anciens, quand la Grande muraille ne serpentait pas encore sur la terre de Chine et que les rois croyaient qu’ils étaient les Fils du Ciel. Dans un palais aux toits brillants, pointus et biscornus, se mourait de langueur une petite princesse du nom de Li-Ming, qui signifie belle et légère.
Le roi, son père, avait beau s’appeler Chung, qui veut dire le sage, il était fou de douleur. Il avait convoqué tous les mages et chiromanciens de la province afin de lui redonner sa vigueur. Certains s’abîmaient les yeux à rechercher des médecines inconnues dans les carapaces torturée des tortues. D’autres croyaient la guérir en appliquant sur son visage défait une poudre confectionnée avec la perle des huîtres des lacs noirs avoisinants. Las ! Rien n’y faisait ! Elle dépérissait.
Un soir, où le soleil dorait sa chambre de ses ultimes rayons, elle appela son père. « Mon bon père », lui confia-t-elle dans un soupir, « je vais vous avouer le secret qui me tue. Vous ne pouvez plus rien pour moi car je meurs d’amour pour l’Oiseau de Paradis, celui qui vole si légèrement dans les nuages et dont les chants sont ceux de la harpe éolienne. Laissez-moi m’en aller le rejoindre au Paradis des Oiseaux. Ne me retenez pas. La terre m’est trop lourde, mon corps m’est trop pesant, mes jambes ne me portent plus, mes pieds sont en charpie. »
Alors, en désespoir de cause, et pour voir le sourire glisser une dernière fois sur son visage diaphane et veiné de bleu, son père lui confectionna un cerf-volant. Il choisit la soie la plus arachnéenne, un bambou plus léger que la plume, une corde plus fine qu’un cheveu, créant ainsi l’oiseau de l’éther le plus aérien que main d’homme eût jamais réalisé. Il y dessina deux hirondelles très blanches et très noires, symbole de fidélité.
Avec l’aide de Yi-Ze, sa suivante aux joues couleur de fleur de prunus, il porta sa fille adorée dans le jardin clos où dansaient les grues ; le cœur en déroute, il l’allongea sur la frêle aile volante, en ayant soin de ne pas la blesser. Il manoeuvra tant et si bien les ficelles que le cerf-volant et son précieux fardeau montèrent doucement au-dessus des fins bambous, tout en se balançant dans une brise aux effluves de magnolias. La princesse lui adressa avec tendresse un dernier adieu de ses doigts amaigris, bagués de jade. Seul désormais et l’âme désertée, il les regarda disparaître.
Or, un soir que la lune était pleine, deux oiseaux d’un bleu de lapis-lazuli vinrent se poser sur le rebord vernissé de la fenêtre de la chambre du roi, orphelin de sa fille. Celui dont les plumes étaient les plus duveteuses lui présenta dans son bec d’ivoire un rouleau de parchemin. Chung l’ouvrit en tremblant de ses mains noueuses. Il y reconnut le coup de pinceau délié et délicat de son enfant chérie et voici ce qu’il y lut : « Merci, mon père, de votre magnanimité. Le cerf-volant m’a délivrée de mon corps pesant. Grâce à votre sacrifice et à votre amour, je vole désormais pour toujours dans les cieux sans limites auprès de mon amant bleu, je danse avec les nuages. Je vous supplie de sécher vos larmes car les soirs où vous serez triste, je viendrai chanter pour vous mon chant le plus cristallin, afin que vous écoutez la musique des sphères. »
Et voilà l’histoire que j’ai racontée cet été sur la dune à mon petit-fils. Il étrennait son premier cerf-volant et il me demandait : « Bonne-maman, dis, tu penserais à quoi, toi, si tu t’envolais sur mon cerf-volant ? »
Catheau
ex-libris.over-blog.fr