LE TABLIER D'ÉCOLIÈRE de BAB

Publié le par beaudroit_juliette

Le tablier neuf

 

 

Chez nous, les tabliers sont une grande histoire de famille. Grand-père, même à la retraite, portait encore chez lui son sarrau anthracite de directeur sévère. Grand-mère et Maman avaient le leur en classe et chez elles. Les adultes donnaient l'exemple : pas question d'user prématurément les vêtements, ni d'excuse pour rechigner aux travaux domestiques. Le meilleur tablier pour l'école, et le plus défraîchi pour la maison ; c'était la règle.

 

Et nous, petite troupe de huit garnements courant partout, on se transmettait en cascade d'une année sur l'autre, les deux tabliers neufs achetés à chaque rentrée pour les aînés, un garçon et une fille. Quant à moi, petite dernière, je guettais avec inquiétude ou envie, selon les modèles, celui qui m'échoirait en cours d'année. Je ne figurais jamais au tableau des élégantes de la classe qui paradaient le lundi matin en chaussures vernies, autorisées une fois par semaine pour finir les habits du dimanche auxquels elles étaient assorties. Au moins je n'avais pas à m'inquiéter de la poussière ramassée en courant dans les feuilles mortes, ni même des accrocs. J'accusais l'usure du tissu.

 

Une année, après une grosse scarlatine et trois semaines au lit, j'avais brutalement grandi de plusieurs centimètres. On aurait dit que j'étais montée sur de maigres échasses toutes blanches. Plus aucun vêtement ne tombait au bon endroit, surtout les jupes et tabliers qui finissaient à mi-cuisse. On me fit remarquer en ricanant, à mon retour, que j'avais encore rétrogradé au classement de l'élégance puisqu'on voyait ma culotte.

 

Le budget familial s'accomodant mal des dérogations à la règle de l'unique achat annuel, ma marraine se porta à mon secours pour offrir la gare-robe d'urgence.

Et le lundi suivant, c'est d'un pas de sénateur que je fis mon entrée dans la cour de l'école. D'un air faussement détaché, j'avançais en me forçant à regarder droit devant moi comme si tout était parfaitement normal. Les chipies aux souliers vernis se poussaient du coude en se parlant à l'oreille, tandis que je savourais le triomphe du vilain petit canard après sa métamorphose.

 

 BAB

 

 

 

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