LE LAC D'INDIFFÉRENCE de CATHEAU

Publié le par juliette b.


Au lac d’Indifférence.

Ayant atteint l’âge où tout vaut mieux que de demeurer céans, j’avais résolu d’entreprendre un périple au pays de Tendre, accompagné de mon confident de valet, le fantasque et bouffonnant Crispin.

En chemin depuis des mois, nous avions malencontreusement égaré la carte que m’avait donnée mon vieux précepteur et, tout en l’ignorant, nos pas nous avaient menés vers l’Est. Après moult pérégrinations, nous atteignîmes un lac aux eaux montueuses et sombres.

Nous embarquâmes sur une sorte de gondole à la vénitienne, en cèdre luisant et d’un noir de peste. Tandis que Crispin manœuvrait  avec force la forcola en bois des îles, je remarquai le curieux motif d’argent du cavai, à mi-longueur de l’embarcation : il représentait celle que Thésée abandonna à Naxos, Ariane enchaînée à son rocher. La traversée fut brève et nous mîmes pied à terre aux abords d’un hameau, étrangement silencieux.

Quelques rares demeures, à la façade austère et aux persiennes close, étaient tristement disposées autour d’un quadrilatère tiré au cordeau par un architecte sans âme. Elles enserraient une placette herbue, au milieu de laquelle se trouvait une statue qui nous fit frissonner. Toute de bronze verdi, c’était une femme à genoux, pleurante et implorante, qui tentait de retenir de ses bras décharnés un homme qui se détourne d’elle. Tandis que nous la contemplions, des bruits indistincts s’élevèrent : chuchotements, vagissements, gémissements, soupirs inarticulés, pleurs retenus. Nous fûmes atteints du tremblement que dansent ceux qui sont atteints par le mal de Saint Guy.

Un homme surgi de nulle part, enveloppé dans une cape noire et arborant un  immense feutre, lequel dissimulait mal un nez remarquable et une plaie béante à la tempe, nous croisa en agitant une lettre. Nous l’entendîmes marmonner :

« Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,

D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire ! »

Nous étions dans la plus extrême perplexité quand un diable d’aubergiste nous héla dessous l’enseigne d’une hostellerie qui avait pour nom : Aux amants infidèles.  Notre estomac criant famine, nous fûmes heureux d’accepter son hospitalité. La chère était maigre, le vin clairet, le feu se mourait dans l’âtre, mais nous n’y prîmes point garde, suspendus que nous étions au discours de notre hôte.

Cette nuit-là, nous ne trouvâmes point le sommeil. Portés par le vent, qui avait tourné à la bise, nous parvenaient les chuchotis, les gémissements, les sanglots étouffés, les râles des mendiants de l’amour qui se tordaient sur leur couche, vierge pour l’éternité.

Au matin, nous prîmes congé en toute hâte de notre hôte. « Carpe diem, Messeigneurs ! », nous recommanda-t-il en nous accordant compagnie jusqu’à l’embarcadère. « Faites désormais route  tout droit vers le Nord. Tendre-sur-Reconnaissance, voilà où il vous faut conduire vos pas. Et conservez en mémoire que « le regard indifférent est un perpétuel adieu


Catheau



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J
<br /> Belle destination, Tendre sur Reconnaissance !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Merci de vos commentaires, mais cette version est incomplète; il y manque le dialogue (Problèmes informatiques!!!). La seconde version est la bonne. Merci Juliette d'avoir fait le nécessaire.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Cela me fait penser à Camille Claudel et Rodin, une histoire malheureuse où l'indifférence de Rodin à emmener Camille vers la folie.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> A tout seigneur, tout honneur, la phrase est entre guillemets: il s'agit d'une citation de Malcolm de Chazal, extraite de Sens plastique.<br /> <br /> <br />
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U
<br /> Le regard indifférent est un perpétuel adieu....<br /> Je retiens!<br /> <br /> <br />
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